Le
village planétaire : mondialisation; progrès ou
recul ? par David Messas, Grand Rabbin de Paris
Contribution
du Grand Rabbin de Paris à un rapport qui doit être
remis au chef de l’état Nicolas Sarkozy par Christine
Boutin, sur les conséquences de la mondialisation dans
les pays développés.
La
Bible fait suivre la création de l’Homme par cette
bénédiction divine : « fructifiez et multipliez,
emplissez la terre et conquérez-la ». Incontestablement,
l’homme, d’une civilisation à l’autre,
a empli et conquis la terre, imprimant sa marque dans tous les
domaines de la nature.
Il
est tout aussi indubitable que le degré de progrès
scientifique et technologique réalisé à la
fin du XXème siècle et en ce début de XXIème
est tout à fait prodigieux si l’on se réfère
à la longue marche de l’humanité. C’est
pourquoi le philosophe Marshall Macluhan a pu comparer, à
juste titre, notre monde contemporain à un « village
planétaire ».
Par
cette expression nous pouvons visualiser les effets de la mondialisation,
des médias et des technologies de l'information et de la
communication; et chaque jour, pour ne pas dire chaque heure,
nous apporte son lot d’infos sur ce qui se passe ici ou
là sur notre planète.
Pensons
également à la révolution qu’a constituée
Internet qui permet à des milliers de personnes de dialoguer
alors qu’elles se trouvent aux deux extrémités
de la terre. Et que dire de la longévité des hommes
et des femmes rendue possible grâce aux incroyables découvertes
de la médecine et à une bonne hygiène de
vie. Enfin les moyens de déplacement nous permettent de
nous rendre d’un point à l’autre de la planète
en des temps record, alors qu’autrefois pour nous rendre
de Meknès à Fès il fallait deux jours.
En
un mot, nous assistons à une transformation radicale des
sociétés liée à la récente
révolution technologique qui a entraîné une
recomposition des forces économiques et sociales à
une nouvelle échelle globale.
Dans
son versant positif, la mondialisation et l'ouverture des marchés
qui lui est associée a favorisé l'exportation de
la liberté, de la démocratie, de l'innovation et
des échanges sociaux et culturels tout en offrant des possibilités
exceptionnelles de dialogue et de compréhension entre les
individus et les peuples. Elle propose aussi des engagements de
solidarités qui n’ont jamais existé dans les
temps antérieurs ; pensons aux réactions internationales
qui se sont manifestées après de grandes catastrophes
naturelles (cyclones, tsunamis, tremblements de terre, etc.).
Toutefois,
cette mondialisation porte en elle-même sa propre fragilité,
car elle a offert à l’homme une telle maîtrise
qu’elle peut lui donner l’illusion d’une toute
puissance.
Une
lecture trop rapide de la Bible laisserait croire que la conquête
de la terre (mentionnée plus haut) pourrait se réaliser
de manière aveugle et anarchique. Du point de vue du judaïsme,
il n’en est rien. Car cette conquête du monde voulue
par le Créateur doit s’inscrire dans l’éthique
du monothéisme.
Détruire
des espèces animales, abattre des milliers d’hectares
de forêt, polluer l’air et les eaux, voilà
autant d’effets négatifs de la mondialisation qui
ne peuvent se concevoir dans l’esprit de la foi d’Abraham.
Ajoutons
que dans bien des cas, la mondialisation a renforcé les
nantis au détriment des faibles. C'est à ce double
aspect de la mondialisation que nous devons chercher à
remédier si nous voulons “humaniser la mondialisation”.
Et cette humanisation ne pourra se faire que grâce à
un développement de la conscience morale.
Car
si la technologie et si l’économie progressent, mais
que la conscience morale ne progresse pas, alors nous risquons
de reproduire les schémas anciens des grandes civilisations
qui ont finalement couru à leur perte. Aussi nous ne pouvons
qu’encourager une réunion des dirigeants politiques
des pays démocratiques à œuvrer ensemble pour
une éthique planétaire et une éducation à
la responsabilité envers autrui et envers la nature, en
tant que création divine.
Le
souci d’autrui doit devenir le mot d’ordre des dirigeants
politiques, des acteurs sociaux et religieux de tout bord. La
mondialisation suppose donc une coopération internationale.
Nous ne pouvons réussir que si nous voulons vivre ensemble
et si nous sommes prêts à travailler ensemble. Or
ce travail collectif s’inscrit dans la logique même
du judaïsme.
En
effet, le judaïsme est une religion universaliste, c’est-à-dire
qu’il considère que les hommes peuvent accéder
à la transcendance divine, sans passer par le judaïsme.
Il suffit qu’ils se soumettent à une morale minimale
nommée « les sept lois de Noé ». Le
messianisme juif ne s’entend pas comme une judaïsation
du monde, mais comme une fraternisation des nations au nom d’un
idéal de justice, d’amour et de paix.
Dans
leur langage, les Rabbins affirment que le trône de D. est
formé des soixante-dix nations issues de Babel, qui symbolisent
l’Universel.
Tel
est le sens de la prière du nouvel an juif (Roch Hachana)
quand nous proclamons l’espérance d’une humanité
formant un seul bouquet pour accomplir la volonté divine.
C’est
pourquoi les Rabbins et les dirigeants de la communauté
juive resteront toujours actifs auprès des pouvoirs publics
pour promouvoir cette éthique du vivre ensemble, afin d’améliorer
la condition de l’homme en tout lieu.
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