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Quand
la yechi-va, tout va par Josy Eisenberg
Ce
titre ne signifie pas que la Yechiva constitue la panacée
universelle à tous les problèmes du judaïsme.
Elle est à la fois adulée et critiquée. Adulée
par les uns, qui voient en elle, à juste titre, la source
ininterrompue de la transmission du judaïsme. Critiquée
par les autres, qui considèrent qu’elle fabrique
des Juifs d’un certain ghetto intellectuel, éloigné
des réalités du quotidien. Cette opinion n’est
certes pas tout à fait injustifiée. C’est
cependant oublier que la Yechiva est une sorte de C.N.R.S du judaïsme,
et que toute culture exige un travail permanent de recherche du
savoir.
Cette
polémique est pour moi l’occasion de faire un brin
de sémantique concernant les postures juives, qui sont
au demeurant tout à fait universelles.
ASSIS,
DEBOUT, COUCHÉ
Le mot Yechiva provient d’un verbe qui signifie à
la fois être assis et demeurer. Dans cette dernière
signification, il exprime l’idée de permanence. Le
propre de la Yechiva, c’est la capacité, pour les
étudiants, de rester assis, aussi longtemps que possible,
face à un texte cent fois remis sur le métier. A
propos de cet aphorisme, il faut observer qu’il se retrouve
dans le Talmud : étudier un texte cent et une fois, c’est
mieux que l’étudier cent fois. Les grands esprits,
ou plutôt les grandes cultures, se rejoignent.
Le
judaïsme distingue quatre postures: être assis, debout,
couché et marcher.
Assis,
dans une position confortable, c’est un signe de bien-être,
de stabilité et de patience. Ces trois conditions sont
nécessaires pour la transmission du savoir. Elles caractérisent
le monde de la yechiva : on s’installe dans la méditation
des textes.
Etre
debout, c’est la posture de la prière : c’est
une marque de respect. La principale prière juive s’appelle
la Amida : la prière debout. Quand on est en présence
d’un roi, c’est cette posture qui convient, surtout
lorsqu’on est en demande. C’est d’ailleurs la
posture d’Abraham lorsqu’il prie pour Sodome. La Bible
ne dit pas qu’Abraham a prié, mais qu’il “était
encore debout devant l’Eternel” (Genèse 18,22).
Ce
fait de rester debout est le signe d’une requête.
Abraham reste debout comme pour dire “je ne bougerai pas
tant que je ne serai pas exaucé”.
Troisième
posture : dans certaines circonstances, notamment à Yom
Kippour, les fidèles se prosternent en signe de soumission.
La
quatrième posture – la marche – c’est
la plus importante. Ce n’est pas par hasard que la Bible
en fait la véritable caractéristique de la condition
humaine : marcher, bouger, avancer, progresser. Dans une célèbre
vision du prophète Zacharie, Dieu lui dit : “ Je
te donnerai des gens qui marchent parmi ceux-là, qui sont
debout.” ( Zacharie 3, 7) Ceux qui marchent, ce sont les
hommes ; ceux qui sont debout, ce sont les anges. Selon le prophète,
ils ont une “jambe droite” : “Et leurs jambes
étaient droites” (Ezéchiel 1, 7).
Les
anges n’ont pas de genoux : ils se tiennent debout, comme
de fidèles serviteurs. Peut-être, comme l’a
dit Isaïe, volent-ils ? On les représente fréquemment
avec des ailes. En revanche, les hommes marchent. Ils ne peuvent
le faire que parce qu’ils ont précisément,
des genoux. Il se trouve, au demeurant, que le mot genou –
bérekh – est le même que le mot bénédiction
– berakha. La faculté de marcher, avec tout ce qu’elle
implique – est la véritable bénédiction
accordée par Dieu au genre humain. Soit dit en passant,
lorsque la Bible décrit un accouchement, elle dit : “Et
elle enfantera sur mes genoux”. (Genèse 30, 4).
Dans
cette circonstance, les genoux sont le lieu et le signe de la
bénédiction. Revenons à la marche. Elle a
fréquemment une connotation spirituelle dans la Bible :
on marche devant Dieu ou avec Dieu. Cette expression est très
courante pour désigner un Juste. “Enoch marcha avec
Elohim” (Genèse 5, 24); “Noé était
un homme juste, il marchait avec Elohim.” ( Genèse
6, 9). Et quand la Torah recommande à l’homme d’imiter
Dieu – la fameuse imitatio Dei – elle lui enjoint
de “marcher dans ses voies”. (Deutéronome 28,
9).
Ainsi,
trois des quatre postures possibles – être debout,
être couché, marcher – sont autant d’attitudes
où se manifeste la piété des hommes. Quant
à la quatrième – être assis –
qui est par excellence la posture des élèves de
la Yechiva, elle exprime non seulement la permanence, mais aussi
la patience et la persévérance. Je me souviens qu’à
la Yechiva, un maître avait dit d’un élève
– en yiddich – qu’il avait “à guit
keppel”: une bonne tête. Entendant cela, un autre
maître rétorqua : “Avoir une bonne tête,
ce n’est pas l’essentiel : il faut surtout avoir un
bon postérieur !”. Dans la langue allemande, on appelle
cela, non sans humour, un “sitz fleish” : “une
viande” capable de rester assise.
A
travers les siècles, personne n’a jamais accompli
cette exigence mieux que les étudiants de ce monde où
l’on reste assis et qui est l’assise du judaïsme. |
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