Tich'a
Béav
Le
neuvième jour du mois d’av (tich'a béav)
est, selon la tradition rabbinique, la date du jeûne du
cinquième mois, l'un des quatre jeûnes publics
institués par les prophètes. Il commémore
une série de calamités ayant frappé le
peuple judéen, dont la faute des explorateurs lors de
la traversée du désert et la destruction des deux
Temples. Il clôture la période des trois semaines.
Le
jeûne du 9 av, considéré dans la Loi juive
comme le prototype du taanit (jeûne de mortification),
dure, à l'instar, de Yom Kippour, vingt-cinq heures et
est soumis aux mêmes restrictions sur les parfums, le
port de chaussures de cuir et les rapports conjugaux. Cependant,
contrairement à cette fête, il n'a pas pour but
l'expiation mais le deuil et certaines coutumes vont en ce sens,
parmi lesquelles le déchaussement ainsi que la lecture
du Livre des Lamentations, d'élégies et de complaintes
sur un ton éteint, à même le sol. Les séfarades
ont également coutume de lire le Livre de Job.
Le
9 av dans les sources juives
La
source biblique du jeûne est une prophétie de Zacharie
pour les temps messianiques, où il annonce :
«
Le jeûne du quatrième mois, le jeûne du cinquième,
le jeûne du septième et le jeûne du dixième
se changeront pour la maison de Juda en jours d’allégresse
et de joie.»
Il
est probable que Zacharie ait en tête le 10 av, jour où
l'incendie du Temple de Salomon et de Jérusalem concluant
le siège de la ville par Nabuchodonosor s'est achevé.
Cependant, selon les Sages, le « jeûne du cinquième
mois » a lieu au neuvième jour de mois, car cinq
calamités sont tombées sur le peuple juif en ce
jour, justifiant un jeûne chacune à elle seule.
Ce sont :
1.
La faute des explorateurs dépêchés par Moïse
(selon un midrash, il s'agit de la « faute-mère
» : comme les Israélites ont pleuré en vain
un 9 av, D. leur promet de leur donner une raison valable de
pleurer désormais à chaque année)
2. La destruction du Temple de Salomon, en l'an 3338 (suivie
par l'exil de Babylone)
3. La destruction du second Temple de Salomon, en l'an 3828
(suivie par le second exil)
4.
La destruction de la forteresse de Betar en l'an 135, marquant
la fin de la révolte de Bar Kokhba (et, selon le Talmud
de Jérusalem, sa mort)
5.
La destruction de Jérusalem par Hadrien, un an plus tard
(pour y bâtir Ælia Capitolina, en effacer les traces
du culte de YHWH et interdire son accès aux Juifs).
Si le jeûne existait à l'époque de Zacharie,
il semble qu'il ait été commémoré
à deux dates différentes et que la date du 9 av
ait été instituée après la destruction
du Second Temple ; une tradition qui n'avait pas été
consignée dans la Mishna résout cette apparente
contradiction : le 7 av est la date à laquelle des étrangers
sont entrés dans le sanctuaire et l'ont profané
tandis que le 10 av est celle à laquelle le Temple a
fini de brûler. C'est, selon Rabbi Yohanan, cette date
qui aurait dû être choisie pour le jeûne mais
les Sages lui ont préféré le 9 parce que
l'affliction est plus importante au moment où elle se
déclenche qu'à celui où elle se termine.
Selon une autre opinion, consignée dans le scholion à
la Meguilat Taanit, le jour joyeux du korban etzim, fixé
à l'époque de la Mishna au 15 av, l'avait été
originellement au 9 av par la génération du retour
à Sion ; d'aucuns en déduisent que cette date
avait été choisie pour exaucer la prophétie
de Zacharie (« les jeûnes ... se changeront en jours
d'allégresse et de joie ») et qu'en conséquence,
le jeûne du cinquième mois avait bien lieu le 9
av.
Pierres
du Mur occidental, jetées dans les rues par les soldats
romains le 9 av,
lors
de la destruction du second Temple
La
coïncidence des dates de ces catastrophes nationales donne
lieu au cours des siècles suivants à la composition
de kinnot (élégies), pièces liturgiques
fort prisées, en particulier celles d'Eleazar Hakalir.
On y pleure au fil du temps d'autres calamités, lesquelles
auraient également eu lieu le 9 av :
•
l'appel aux Croisades par le Pape Urbain II, survenu le 9 av
4855 (1095 EC), suite auxquelles de nombreuses communautés
rhénanes disparaissent dans leur entièreté.
•
le brûlement du Talmud à Paris, le 9 av 5002 (1242
EC), survenu au terme du procès du Talmud.
Ces
nouvelles calamités renforcent l'observance des coutumes
de deuil rattachées au 9 av. En effet, si Rabbi Yehouda
prend sa seouda mefasseket (dernier repas avant le jeûne)
à la façon d'un repas de deuil, Rabbi Juda Hanassi
envisage d'en atténuer l'importance lorsque le jeûne
a lieu le chabbat et doit être décalé au
premier jour de la semaine (c'est-à-dire au dimanche)
et Moïse Maïmonide limite les marques de deuil à
celles énoncées dans le Talmud et l'interdiction
de viande et de vin à la seouda mefasseket. En revanche,
Moïse de Coucy, protagoniste du procès du Talmud,
ajoute à ces interdictions celles d'étudier la
Torah en dehors des passages tristes et signale que beaucoup
ne mettent pas les tefillin (phylactères) pour prier.
Au
fil des années et des siècles, les catastrophes
s'accumulent :
•
la signature du décret d'expulsion des Juifs d'Angleterre
par le roi Édouard Ier d'Angleterre, le 9 av 5050 (1290
EC)
•
la mise en application du décret de l'Alhambra, expulsant
les Juifs d'Espagne, le 9 av 5252 (1492 EC)
•
la déclaration de la première Guerre mondiale
(en réalité, le surlendemain du 9 av) 5674 (1914
EC)
•
la déportation des Juifs vers le ghetto de Varsovie
•
l'attentat contre le bâtiment de l’Asociación
Mutua Israelita Argentina, le 18 juillet 1994, qui fit 84 morts
et 230 blessés
Observance
du 9 av dans le judaïsme rabbinique
De
nombreuses commémorations se tiennent par conséquent
le 9 av lorsqu'on n'en connaît pas la date.
tich'a
béav est marqué par le deuil, et en tant que tel,
le Chabbat a préséance sur lui. Si le 9 Av tombe
un Chabbat, le jeune sera repoussé d'une journée;
on étudiera tout de même des sujets en rapport
avec le 9 Av.
Le
9 Av n'est pas un jour chômé, bien que le travail
soit hautement déconseillé. Il est cependant préférable
de ne travailler qu'à partir de la mi-journée
(après 'Hatsot).
Les
restrictions
Comme
à Yom Kippour, on observe à tich'a béav
un jeûne complet (alimentation et boissons interdites,
sauf déshydratation, ou prise de médicaments obligatoirement
hydrosolubles) de 25 heures, depuis le coucher du soleil jusqu'à
l'apparition des étoiles le jour suivant.
Il
ne s'agit pas ici d'expier mais de se lamenter. En outre, l'extrême
pénurie d'aliments et boissons fut le lot de ceux qui
virent la destruction des Temples (cf. les Lamentations de Jérémie,
pour le Premier Temple).
Sont
également interdits :
•
les baignades d'agrément.
•
les ablutions sont réduites au minimum : on se rince
le bout des doigts et non les mains; on peut se les rincer
si elles sont sales, et au lever; on peut, tant que les doigts
sont humides se frotter les yeux.
•
on ne se rince pas la bouche jusqu'à la fin du jeûne.
•
on peut se mouiller les mains en lavant la nourriture, l'intention,
n'étant pas de se laver les mains.
• on peut baigner un bébé, et appliquer
de l'huile sur sa peau.
•
le maquillage et le parfumage; il est interdit de respirer des
épices.
•
le port de chaussures de cuir.
•
cela s'applique aux chaussures à semelle comme à
lacet de cuir; on peut porter des chaussures en toile, tant
qu'elles ne contiennent pas de cuir.
•
si l'on doit s'engager dans un chemin épineux, ou dans
un environnenment "à faible densité de
population juive" (où le port de pantoufles serait
remarqué et tourné en dérision), on peut
porter des chaussures ordinaires.
•
L'intimité conjugale; les couples sont soumis aux restrictions
de la nidda.
Au cours de la première partie de la journée,
on s'assied sur des chaises basses (à 30,48 cm du sol
maximum) comme pendant la période de deuil de sept jours.
On
évite les embrassades, les salutations cordiales, les
sourires, ...
L'étude
de la Torah "réjouit le cœur" (Psaumes
19:9); elle est donc déconseillée, à l'exception
du Livre des Lamentations (meguilat Eikha), ses commentaires
midrashiques, le livre de Job, les prophéties de Jérémie,
les passages talmudiques liés à la destruction
du Temple, etc.
Les
mesures de deuil sont moins sévères l'après-midi
: on peut par exemple s'asseoir sur des chaises plus élevées,
ou s'adonner plus librement au commerce.
Erev
Tich'a
béav
Le
soir du 9 Av (dans le judaïsme, le jour commence à
la tombée de la nuit, cf. récit biblique de la
Genèse), l'atmosphère est humble et dépouillée,
l'éclairage réduit au minimum, l'Almémor
est nu, l'Arche sainte dépourvue de sa parokhet. Après
l'office du soir, on s'asseoit sur des sièges bas. Le
Hazzan récite plaintivement la meguilat Eikha. Il est
ensuite de coutume de lire des kinnot (élégies).
La
lecture des kinnot est d'apparition récente : le siddour
de Rav Amram Gaon, rédigé au neuvième siècle,
ne le mentionne pas. En revanche, il indique déjà
que le 9 Av, le fidèle récitera le livre de Job.
Cha'harit
Tich'a
béav
La
prière du matin se fait dans la même atmosphère.
Contrairement à l'habitude de le faire le matin, certaines
communautés ne revêtent le tallit et les tefillines,
que l'après-midi du fait du deuil. On lit une section
du Deutéronome (4:25-40, menace en cas d'idolâtrie
des Israélites). La Haftara est issue du Livre de Jérémie.
On lit également des kinnot.
Min'hat
Tich'a
béav
Pour l'office de l'après-midi, ceux qui ne l'ont pas
fait le matin, revêtiront tallit et tefillines et une
prière spéciale, dite de consolation (Na'hem)
est intercalée dans la 'Amida, à la 14e prière,
pour la reconstruction de Jérusalem.
Après
Tich'a
béav
Il
est de coutume de se laver les mains, fût-ce par hygiène.
Si
Tich'a béav tombait un dimanche, comme la bénédiction
sur le vin ne pouvait être faite lors de la Havdala, elle
est faite à la fin de Tich'a béav. On ne récitera
que les bénédictions sur le vin et HaMavdil, mais
pas la bénédiction sur la bougie, celle-ci ayant
été allumée à la fin de Chabbat.
On ne récite pas non plus la bénédiction
sur les épices.
La
viande, le vin, les baignades d'agrément et la coupe
de cheveux et/ou le rasage sont évités jusqu'au
lendemain midi, le Second Temple ayant brûlé jusqu'à
ce moment-là. Les Sages jeûnaient d'ailleurs jusque-là,
selon le Talmud.
La
poursuite de ces restrictions n'a pas lieu si le 10 Av tombe
un Chabbat.
Le
premier Chabbat après Tich'a béav est appelé
Chabbat Nah'amou, selon les premiers mots de la Haftara tirée
de la fin du Livre d'Isaïe (40:1-27 : "Consolez, consolez
mon peuple, dit votre D."). C'est la première d'une
série de sept haftarot de consolation, les shiv'a dene'hemata
qui s'échelonneront jusqu'à Roch Hachana.
Évolution
des coutumes
Dans
la période de rédaction du Talmud, l'observance
du 9e jour du mois d'Av revêtit un aspect de tristesse
et d'ascétisme de plus en plus marqué.
Maïmonide,
légaliste du XIIe siècle, émet l'opinion
dans son Mishné Torah, que les restrictions, telles que
consommer des mets carnés ou boire du vin, ne s'appliquent
qu'au dernier repas du 8 Av, précédant le jeûne,
s'il est pris l'après-midi. Par contre, avant midi, il
n'y a aucune restriction (Hilkhot Taanit 5:8).
Moïse
de Coucy (XIIIe siècle) écrit que c'est une coutume
universelle que de se retenir de mets luxueux toute la journée
précédant le 9 Av (Sefer Mitzvot hagadol, éd.
Venise, Lois sur Tich'a béav, 249b).
Yossef
Karo (XVIe siècle), auteur du Choulhan Aroukh et du Bet
Yossef, écrit que certains ont pour coutume de s'abstenir
de viande et de vin depuis le début de la semaine à
laquelle tombe le 9 Av; et que d'autres s'en abstiennent pendant
les trois semaines à partir du 17 Tamouz (Choulhan Aroukh,
Orah Hayim 551).
Les
interdictions devinrent plus nombreuses, et on interdit de se
marier durant cette période, et d'autres signes de deuil
encore.
Finalement,
le Rav Moïse de Coucy dit que certains ne mettent pas leurs
phylactères (tefilines) à Tich'a béav,
une coutume fort répandue par la suite (cf. supra on
ne les met pas le matin, mais bien l'après-midi).
De
la sorte, toutes ces coutumes, initialement conçues pour
marquer sa piété de manière inhabituelle,
devinrent finalement la règle à suivre pour tous.
Le
jeûne du cinquième mois dans le karaïsme
Dans le commentaire talmudique de cette mishna, on objecte que
la destruction du Second Temple n'eut pas lieu le jour précis
du 9 Av, mais qu'elle est thématiquement associée
à ce jour de jeûne (selon ce commentaire, le feu
qui consuma Jérusalem fut allumé ce jour, mais
son œuvre se poursuivit jusqu'au jour suivant, et la destruction
aurait donc techniquement eu lieu le 10 Av).
Par
ailleurs, le Talmud ne donne pas non plus de preuve que la forteresse
de Betar tomba le 9 Av, mais reconnaît qu'il existe une
tradition affirmant que ce fut bien le cas.
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