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Mémoire
vivante
Danser
à Auschwitz ? L’idée est si grotesque, irritante
et scandaleuse qu’on la dirait surgie d’un cerveau
malade ou dans l’esprit d’un scénariste hollywoodien
en mal d’inspiration ou encore dans un de ces cercles de
néo-nazis négationnistes, comme il en existe aujourd’hui
en Allemagne ou en France. La vidéo montrant cette famille
en train de danser sur les lieux mêmes, devenus symbole,
où ont été assassinés six millions
des nôtres, a pourtant fait le tour du monde, notamment
par la Toile interposée. Et, ô surprise ! Il s’agit
d’une famille de juifs religieux qui ont voulu exprimer
ainsi, plus de soixante ans après, leur joie d’avoir
survécu à Hitler. Le message qu’ils voulaient
transmettre en prenant une telle initiative, était de dire
: Hitler a pensé nous avoir vaincus et réduits en
cendres. Eh bien non ! Nous lui avons survécu. Nous sommes
les vrais vainqueurs et, sur les lieux mêmes où il
a méthodiquement programmé notre mort, aujourd’hui
nous dansons et nous chantons.
Considéré
sous cet angle, on peut comprendre ! Quoi de plus naturel pour
un homme sorti d’Auschwitz, rare survivant, religieux de
surcroît, que de chercher à manifester sa joie (et
sa foi) et que de vouloir rendre grâce au maître de
nos destinées de l’avoir maintenu en vie. C’est
sa façon à lui de dire la bénédiction
ordinaire de Cheheyanou. C’est une bénédiction
qui s’impose d’elle-même - plus qu’à
tout autre - à celui qui, dans les camps d’Auschwitz,
à a vu la mort en face et qui en a réchappé.
Nous
comprenons mais nous n’approuvons pas ! Il existe cent et
une autres manières de dire sa joie d’avoir survécu
à la Shoah. Raconter à ses enfants et à ses
petits enfants ! En tirer des leçons de vie ! Maintenir
vivante la mémoire ! Se montrer solidaire de ses frères
et de ses sœurs de la communauté. Exprimer sa joie,
danser et chanter, oui, pourquoi pas ? Mais pas à Auschwitz
! Pourquoi ? Parce que ce lieu est voué, selon nous, à
tout jamais au silence et, si l’on est croyant, à
la prière. Ici on médite et on réfléchit
dans le silence. A la rigueur on pleure. On s’interroge.
On peut dialoguer avec le ciel et avec soi-même. Et on écoute
le silence. Car ici ce silence est lui-même plein d’enseignements.
Cet
espace est devenu lieu de mémoire. Pour les uns, il est
à jamais maudit. Il est le cimetière où sont
enterrées un certain nombre de valeurs de la civilisation
européenne. Pour nous, il est le pays où la haine
professée à notre égard a atteint les sommets
de la barbarie la plus inhumaine. Et c’est le lieu de toutes
les interrogations sur l’homme, sur Dieu et sur notre place
dans le concert des peuples.
Le lieu aussi des questions sans réponses.
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