11 novembre 2019

Mes Chers Amis

« La guerre, je vois des ruines, de la boue, des files d’hommes fourbus, des bistrots où l’on se bat pour des litres de vin, des gendarmes aux aguets, des troncs d’arbres déchiquetés et des croix de bois, des croix, des croix… »

Ce passage est extrait du célèbre livre de Roland Dorgelès « Les Croix de bois ». Dorgelès fut parfois ambigu mais n’oublions pas qu’il reçut chez lui des réfractaires et des Juifs en 43-44 et son épouse était juive. 

La cérémonie du 11 novembre est l’occasion d’ouvrir notre questionnement. Cent ans après, nous pouvons nous interroger sur l’implication des juifs dans la première guerre mondiale. Autant la seconde guerre mondiale est un massacre univoque des juifs, autant la 1ère guerre mondiale voit des juifs français et des juifs allemands s’affronter de part et d’autre des tranchées.

La guerre 14-18 fut une guerre fratricide mais pourquoi ?

Dès lors nous avons trois questions :

1 Quel fut l’engagement des juifs français et allemands dans la première guerre mondiale ?

2 Pourquoi se sont-ils autant engagés dans des camps nationalistes et opposés ?

3 Quelles leçons de l’Histoire pouvons-nous tirer pour notre présent et notre futur ?

  1. L’engagement des juifs dans la guerre 14-18 :

Lorsque l’Allemagne déclare la guerre à la France le 3 août 1914, les Juifs allemands et français s’engagent sans réserve dans ce premier conflit mondial. Les Juifs supportent l’épreuve de la guerre et soutiennent la cause sacrée de la nation de la même manière que leurs compatriotes respectifs.

96.000 Juifs allemands sont mobilisés, sur 480.000 âmes que compte la communauté juive allemande en 1914. En France 35.000 soldats juifs sont mobilisés sur une communauté qui en compte à peine 185.000. Plus de 4.650 d’entre eux seront tués.

Les Juifs de France sont déterminés à témoigner de leur appartenance à la Nation par leur patriotisme. Ils veulent faire honneur à la citoyenneté française obtenue en 1791 grâce à Mirabeau et l’abbé Grégoire 

Cette guerre est surtout considérée comme l’apothéose de leur émancipation. Chacun veut affirmer son intégration et sa loyauté pour la patrie. Au risque de sa vie. Quelle meilleure façon de prouver son attachement à la nation qu’en versant son sang pour celle-ci !

Sigmund Freud écrit en 1914 au Dr Karl Abraham son ami médecin berlinois : « c’est la première fois depuis 30 ans que je me sens autrichien. J’aimerai que cet empire ait une dernière chance. Le moral est partout excellent. Le ferme soutien de l’Allemagne contribue beaucoup à l’enthousiasme de l’opinion publique ». Freud fut un génial découvreur mais son analyse politique resta très classique et conformiste.

Quatre destins vont illustrer mon propos :

Tout d’abord Le grand rabbin de Lyon Abraham Bloch il meurt au champ d’honneur le 29 août 1914 et il devient l’image mythique du patriotisme des Juifs français et de l’Union sacrée

Le lieutenant-colonel Alfred Dreyfus reprend du service à l’âge de 55 ans à l’état-major de l’artillerie de Paris puis à la 168e division, il est un officier comme les autres. Il prend notamment part aux combats du Chemin des Dames, au printemps 1917, puis autour de Verdun, au cours des mois de janvier et de février suivants. Il aura une promotion au grade d’officier de la Légion d’honneur en juillet 1919, sur décision du président Clemenceau.  Le 4 octobre 2019, J’accuse, le nouveau film de Roman Polanski a été projeté à l’École Militaire Paris 7ème, devant tout l’Etat-major de l’armée française, à l’endroit même où le capitaine a été dégradé pour haute trahison en 1895. 

Le Dr Robert Debré fondateur de la pédiatrie et des CHU français, fils du grand rabbin Simon Debré, est médecin-lieutenant dans un régiment d’artillerie.  Il sert à Verdun, il a été cité et décoré. Il est le père de Michel Debré, et le grand-père de Jean-Louis et Bernard Debré. Son ancêtre Jacques vient de Bavière et il a transformé son nom Anschel en Debré. Il a crypté le nom Debré d’apparence francophone mais qui en hébreu signifie « porteur de la parole », (parler ledaber). Chez les Debré, on retrouve ce que disait Raymond Aron, « si on est juif de France, on défend la France ».

Le Dr Aaron Mallah est médecin militaire pendant toute la guerre, mais en 1924 le Préfet de police de Paris émet encore un avis défavorable  à sa naturalisation qui se fera sur décision du ministère de la justice. Il est le grand-père maternel du Président Nicolas Sarkozy.

  • Malgré cet engagement patriotique, on constate La montée inexorable de l’antisémitisme :

En 1914, la France sort de l’affaire Dreyfus qui a été réhabilité en 1906. Mais dès 1917, de nouveaux thèmes nourrissent l’antisémitisme : le Juif est un espion qui sert d’autres maîtres les Allemands les bolchéviques ou les alliés américains. En Allemagne les Juifs deviennent très vite les responsables de tous les problèmes économiques auxquels doit faire face l’Allemagne en guerre. L’effort de guerre coute très cher.

Si les juifs français et allemands s’engagent pour contrer l’antisémitisme, disons-le c’est un échec total.

La shoah le prouvera 20 ans plus tard.

  • Quelles leçons retenir de l’Histoire ?

L’antisémitisme est malheureusement quelque chose de plus grand que nous, de plus puissant que nous, de plus durable que nous.

Cent ans plus tard l’Histoire revient avec son pas lourd. 

L’assimilation n’est pas la solution car l’antisémite retrouvera toujours notre identité à travers nos origines, à travers notre morphologie, notre nom, notre prénom, nos parents, nos grands-parents, notre métier, notre curiosité, nos gènes et que sais-je encore ? Les juifs français et allemands voulaient s’assimiler mais le retour du refoulé, le retour de la bête du Quaternaire, de la bête humaine a resurgi inexorable.

Comme maintenant.

Dans notre rapport à la République, l’intégration est la seule téléologie possible. La seule finalité. L’intégration oui, l’assimilation non. Se fondre dans la République jusqu’à dissoudre notre identité ne nous sauvera pas. Cette position est exactement celle des penseurs juifs de l’Ecole de Paris, Emmanuel Levinas, André Neher et Léon Ashkénazi.

Dès lors pour lutter contre l’antisémitisme il nous faut convertir les cœurs et les esprits, et nous serons toujours des partenaires loyaux dans cet effort.

Car personne n’est une île. Personne n’est un tout en soi. Aucun peuple n’est une île. Sinon il est voué à disparaitre…

Aucun continent n’est une île.

Ceci est une adresse à tous ceux qui prônent le repli sur soi et l’entre-soi. Nous sommes liés par quelque chose d’infiniment supérieur et qui nous dépasse

Un vieux poème anglais du 16ème siècle de John Donne le dit bien mieux que moi, (et ironiquement il anticipe de 400 ans le Brexit) :

Aucun homme n’est une île, un tout, complet en soi

Tout homme est un fragment du continent, une partie de l’ensemble

Si la mer emporte une motte de terre

L’Europe en est amoindrie

Comme si les flots avaient emporté un promontoire

Le manoir de tes amis ou le tien

La mort de tout homme me diminue

Parce que j’appartiens au genre humain 

Je vous remercie de votre attention

Shabbat shalom mes amis