Histoire du Judaïsme Départemental

LA PRESENCE JUIVE EN CENTRE-HERAULT AU MOYEN AGE



Rue des litanies Pézenas

La présence juive au Moyen Âge dans notre département est bien connue dans les principales agglomérations, comme Béziers ou Montpellier, ou dans de petites cités qui ont accueilli d’importantes communautés, comme Lunel ou Vauvert (Posquières).

Elle l’est beaucoup moins pour le centre de l’actuel département de l’Hérault, dans les petites villes de Lodève, Clermont-l’Hérault, Pézenas et Montagnac. Cette zone, à cheval entre quatre diocèses, structurée par l’axe fluvial Hérault-Lergue, présente une unité économique.

En effet, Lodève, Clermont, Pézenas et Montagnac furent le siège des foires de Languedoc, plaque-tournante du commerce des draps du XIIIe au XVIIe siècles.

Ces villes se situent au croisement entre la plaine et la montagne, et entre le Haut et le Bas Languedoc. C’est là où convergeaient les productions drapières de Limoux, Castres ou St Pons, ainsi que le pastel du Lauragais et de l’Albigeois. Lodève et Clermont possèdent les foires les plus anciennes. Ce sont à la fois des lieux de production et de négoce, appartenant à cette conurbation industrielle de piémont traitant la production de laine des causses du sud du Massif central.

Les foires de Pézenas et de Montagnac sont créées a posteriori, plus bas dans la plaine, mais elles s’imposent au XIVe siècle grâce à des privilèges royaux favorables. Surtout, la construction du pont sur l’Hérault entre Montagnac et Pézenas, achevé vers 1288, détourne le trafic qui passait au nord par Clermont et au sud par Saint-Thibéry sur un seul axe médian entre Montpellier et Béziers (ancienne RN113). Et Montagnac et Pézenas finissent par supplanter Lodève et Clermont dont les foires tombent en désuétude dans le courant du XIVe siècle.

La présence juive dans ces agglomérations s’explique en grande partie par l’existence de ces foires. Les leudaires ou règlements des tarifs sur les marchandises montrent, comme celui de Clermont-l’Hérault, que la somme exigée aux juifs passant par ces villes doublait durant les périodes de foire, ce qui prouvent qu’ils les fréquentaient dès le XIIIe siècle.

LODEVE



Ancienne rue des juifs Lodève

La petite cité épiscopale de Lodève possédait de très anciennes foires pour la Saint-Geniès (25 août), son saint patron. La présence juive dans cette ville est bien attestée par des textes et par la toponymie. Lodève possédait une « rue des Juifs », située près de l’église Saint-Pierre, sous l’actuel marché et parking. La communauté était assez importante pour disposer d’une synagogue. En revanche, celle-ci était localisée, d’après les textes, à l’exact opposé de la juiverie, près de la cathédrale. La situation géographique de la synagogue peut paraître curieuse, au centre de l’enclos canonial. Elle est mentionnée dans les Statuts du chapitre de Lodève, datés de 1410, après l’expulsion des Juifs du Royaume, désignée et décrite comme une canourgue, c’est-à-dire comme une maison de chanoine :

Canonicus vero tenens domum que vocatur de Sinagoga, confrontatur cum carceribus domini Lodovensis episcopi, et cum canonia de Pojolis…
Le chanoine qui occupe la maison dite de la synagogue, confrontant les prisons du seigneur évêque de Lodève, et la canourgue de Poujol…
(Livre vert. Cartulaire de l’église de Lodève, J. Rouquette, 1923, p. 123-124)

Cela signifie que la synagogue avait été désaffectée et réaménagée en logement pour un religieux de la cathédrale. Cette situation est révélatrice de la haute main de l’évêque sur les Juifs de la ville et de son diocèse, dont les privilèges furent confirmés plusieurs fois par les rois de France. Ainsi, en 1306, quelques temps avant la première expulsion des Juifs du Royaume, Philippe IV le Bel mande au sénéchal de Carcassonne de respecter les droits que possèdent les évêques de Lodève sur les Juifs de son diocèse, à savoir de ne pas empêcher les Juifs de payer le péage à l’évêque, de ne pas empêcher les Juifs de la baronnie de Clermont d’être punis par l’évêque et de préserver le droit qu’il possède sur les Juifs qu’ils soient originaires du diocèse ou que l’évêque aurait acquis par don (sic). Nous ne disposons d’aucune information sur le nombre ni sur l’identité de ces Juifs vivant à Lodève. Les archives n’ont conservé le nom que d’un seul d’entre eux, Abraham de Millau, cité en 1383. Nous n’avons pas d’autres renseignements qui nous permettent de mieux connaître cette communauté.

CLERMONT L’HERAULT



Clermont est une fondation seigneuriale du début XIIe siècle. Très vite, la ville se développe et prospère avec des foires pour la saint Brice en novembre. La présence juive est désormais fermement établie dans cette localité grâce aux archives épiscopales et notariales. La ville possédait même une synagogue, mentionnée pour l’usage des Juifs de Clermont, cas unique pour le Centre-Hérault :

Judei de Claromonte pro eorum synagoga debent in festo Natalis Domini domino Lodovensi ratione pensionis seu usatici quolibet anno unam libram piperis redditam in aula episcopali Lodove.

Synagogue Rue Rougas Clermont-l’Hérault

Les Juifs de Clermont pour leur synagogue doivent payer à Noël à l’évêque de Lodève, à raison de la pension ou droit d’usage, chaque année une livre de poivre, remise dans le palais épiscopal de Lodève. (Inventaire Briçonnet, Archives départementales de l’Hérault, GG 1050, fol. 127);

Cette source ne nous informe pas sur la localisation de cette synagogue, ni sur le quartier habité par ces juifs. La toponymie urbaine n’a pas conservé la mémoire d’une rue des Juifs ou d’une Juiverie. Une tradition locale rapportée par l’abbé Durand en 1837 dans son Histoire de la ville de Clermont-l’Hérault situe son implantation dans l’immeuble gothique de la rue de Rougas (faubourg situé à une des entrées de la ville). Cette localisation n’est pas formellement authentifiée, l’immeuble actuel étant semble-t-il postérieur à la première grande expulsion des Juifs du Royaume en 1306. Cependant, ce texte confirme l’existence d’une communauté juive à Clermont assez importante pour posséder une synagogue. Ils sont assez riches également pour payer une livre de poivre de cens annuel à l’évêque, somme exorbitante à l’époque qu’ils doivent débourser pour avoir le droit de disposer d’un lieu de culte propre.

Ce sont les registres de notaires médiévaux de Clermont qui nous révèlent l’identité de ces Juifs clermontais. On recense 18 actes impliquant des Juifs, dans les dernières décennies du XIVe siècle, de 1376 à 1391, juste avant l’expulsion de 1394. Au total, on décompte 10 noms de Juifs habitants à Clermont, dont 7 chefs de foyers. On repère parmi eux cinq individus qui reviennent de manière récurrente dans les registres, ayant des activités de prêt d’argent, dont une femme, à savoir Astruc Salomon (7 occurrences), Samuel Ysaac de Bagnols (6 occurrences), Astruga de Lunel (4 occurrences), Bonet Maymon (3 occurrences) et Mossé Durant (2 occurrences), tous désignés comme habitants de Clermont. Astruc Salomon est le plus gros prêteur, et travaille avec Bonet Maymon, son procureur. Samuel de Bagnols agit tant pour lui ainsi que pour sa « dame » Astruga de Lunel. Astruga de Lunel manipule les sommes les plus importantes. Elle prête aux consuls de Conas, près de Pézenas, 50 francs or, le plus gros montant relevé. Ces activités touchent surtout les villages environnants et dénotent une pratique traditionnelle d’emprunter aux Juifs qui perdure tardivement dans les populations rurales.

Finalement, ces références éparses ne nous renseignent que trop partiellement sur l’importance numérique de cette population vivant à Clermont à la fin du XIVe siècle. A partir de 7 chefs de foyers, en extrapolant, on peut estimer cette population environ à 30 ou 40 individus, tout au plus. Sachant que les communautés juives ont cherché souvent à se réinstaller sur les lieux mêmes où elles demeuraient avant l’expulsion de 1306, qui plus est quand elles possédaient une synagogue, on peut conjecturer l’ancienneté de cette communauté. Il est difficile d’avancer des chiffres sans aucunes données pour les périodes plus anciennes, ni d’évaluer la part des Juifs dans la population totale de Clermont. A la fin de cette étude, nous ne pouvons avoir qu’une impression d’une communauté juive clermontaise qui put être florissante au tournant des XIIIe-XIVe siècles et qui connut ses derniers soubresauts à la fin du XIVe siècle.

PEZENAS



Pézenas devint ville royale en 1262 et obtint du roi la concession de privilèges de foires en 1275 et 1325. Ses trois foires annuelles (juin, septembre et novembre) étaient de loin les plus importantes de la région aux XIVe et XVe siècles. La présence juive à Pézenas est bien attestée dans les textes. Dans un acte de 1298, souvent cité, les Juifs de la ville s’engagent à payer chaque année 25 sols pour la taille royale et 25 sols supplémentaires pour avoir le droit d’ouvrir une boucherie propre (« casher ») dans le quartier qui leur est réservé. Ce quartier juif est bien attesté lui aussi par la toponymie. Il s’agit de la rue Juiverie, située près de la porte Faugères, dans un écart de la ville, sous la butte du château.

Entrée de la juiverie Pézenas

La topographie spécifique de cette rue lui a valu le qualificatif impropre de Ghetto, donné par l’historien de Pézenas Albert-Paul Alliès en 1908 dans son ouvrage Une ville d’états. Pézenas aux XVIe et XVIIe siècles. En effet, elle est configurée comme une impasse, dont les deux uniques accès sont fermés par un passage couvert. L’accès principal se fait du côté de la porte Faugères, tandis que le passage de la rampe, actuelle rue des litanies, se réduit à une ruelle étroite et en pente. Albert-Paul Alliès faisait remarquer justement l’architecture spécifique de ces maisons, qui diffère des maisons marchandes à échoppes du reste de la ville. Au bout de la rue, selon le chevalier de Poncet, premier historien de Pézenas au début du XVIIIe siècle, aurait existé une synagogue. Il déclare avoir vu dans « la tour carrée du sieur Messe » une « grande cuve de terre » qui selon lui servait leur purification. Selon le service patrimoine de la ville, la localisation précise de cet immeuble est sujette à caution et pourrait se situer en dehors du quartier. On a prétendu également avoir découvert un mikvé dans les caves de l’hôtel d’Agde de Fondouce, à l’entrée de la rue, récemment restauré, mais la découverte n’a pas été confirmée par l’archéologie.

D’après ces indications textuelles et urbanistiques, Pézenas dut abriter une communauté juive importante avant l’expulsion de 1306, à l’instar de Lodève et de Clermont. Cependant, il n’est pas certain qu’elle s’y soit réinstallée dans la seconde moitié du XIVe siècle. En effet, l’activité des prêteurs juifs de Clermont s’étend à la fin du siècle sur tout le Piscénois et il semble peu probable que les habitants des alentours soient allés si loin quérir leurs services, s’ils n’avaient trouvé sur place à Pézenas des Juifs pour emprunter quelques dizaines de francs.

MONTAGNAC



Montagnac peut être considéré comme la petite sœur de Pézenas, sur l’autre rive de l’Hérault. Devenue ville royale en 1234, avant Pézenas, elle obtient un privilège de foire en 1295 seulement. Le commerce n’en demeure pas moins prospère. Cependant, on ne dispose pas de renseignements probants sur une présence juive dans cette ville. Il n’y a pas de mention de Juifs dans les sources, ni de trace dans la toponymie urbaine. Néanmoins, le passage de Juifs à Montagnac est attesté par le leudaire daté de 1288 et connu par une copie imprimée de 1783. Le document précise qu’un Juif paye 2 sols et 6 deniers, et « leurs femmes enceintes le double ». Outre le fait que le Juif est traité et taxé comme une marchandise, cette mesure discriminatoire envers les femmes portant un enfant se retrouve pareillement dans les leudaires de Clermont et de Pézenas.

Les Juifs sont chassés du royaume de France en 1394. Il faut attendre environ 400 ans pour qu’ils fassent leur retour en Centre-Hérault, avec l’installation de familles judéo-provençales à Pézenas (Bédarrides) et à Clermont (Crémieux). Entre-temps, cette région a pu être encore un haut-lieu de la culture hébraïque à travers la personnalité de Jean de Plantavit de la Pause, évêque de Lodève entre 1579-1651, mort à Pézenas, auteur d’un monumental dictionnaire hébreu-latin publié à Lodève en 1644. Tous ces éléments historiques et culturels montrent les liens profonds qui unissent la communauté juive au territoire centre Hérault.

Pierre-Joan Bernard, historien, Archives de Montpellier