Du 17 tamouz au 9 av La période de trois semaines qui s’étend du 17 tamouz au 9 av se nomme traditionnellement ben hamétsarim « entre les malheurs » selon l’expression du prophète Jérémie dans ses Lamentations ou Eikha (I, 3). Le 17 tamouz rappelle, entre autres (cf. Choul’han Arou’h § 549), la brisure des tables de la Loi par Moïse lorsqu’il constata la faute du veau d’or et la première brèche faite dans le mur extérieur de Jérusalem à l’époque du second Temple. Ici et là, la pierre fut témoin de notre chute. Le 9 av rappelle, entre autres, le décret divin pris contre le peuple qui refusa d’entrer en terre promise et la destruction des deux Temples de Jérusalem. Ici et là, le peuple d’Israël perdit son lien à sa terre.C’est en raison de ces malheurs que Rambam écrit dans son Michné Torah (lois des jeûnes § 5) : « Les jours de jeûnes ont été institués afin d’éveiller les cœurs à la vie religieuse, et pour ouvrir la voie de la téchouva … le souvenir de ces événements tragiques nous incitera à faire un retour sur nous-mêmes et à nous amender… »Le peuple juif sait autant se réjouir dans ses solennités qu’il sait reconnaître ses failles et ses écarts devant D. Ainsi notre calendrier est-il jonché de moments de louanges pour l’Eternel autant que de moments d’introspection pour nous améliorer. Le mot métsarim (pluriel de métsar = malheur) pourrait se lire en changeant les voyelles comme mitsraïm, « Egypte », le pays de l’esclavage de nos ancêtres. Le lien entre la servitude égyptienne et la période sombre de notre calendrier n’est pas que sémantique, il traduit l’oppression subie par le peuple d’Israël tout au long de son histoire. Depuis l’Egypte pharaonique jusqu’à la Rome impériale, nous avons été confrontés à des civilisations qui ont voulu nous détruire physiquement ou nous assimiler à leur culture. La tradition juive cite souvent les quatre empires qui seront autant d’exils spirituels que physique. Pourtant, ces temps de malheur ne sont pas que des jours de deuil et de pleurs, où il nous faudrait que gémir. Comme l’a écrit Rambam, ils sont aussi des moments privilégiés pour faire le point avec nous-mêmes vis-à-vis de D. et vis-à-vis de notre prochain; et au final, pour trouver en nous la force de nous améliorer et donc changer notre futur.En d’autres termes, le 9 av, à l’instar de Kippour peut devenir la source d’une force nouvelle pour nous régénérer au plan moral, religieux et spirituel.Le Rav Abraham Isaac Hacohen Kook nous a transmis ce bel enseignement : « Si le second Temple a été détruit par la haine gratuite (sinat ‘hinam), il sera reconstruit par l’amour gratuit (ahavat ‘hinam) que nous montrerons les uns pour les autres ».Souhaitons qu’en ce jour de Tich’a béav, nos pensées soient autant dirigées vers Jérusalem, capitale une et indivisible du peuple juif, que vers une authentique paix des cœurs dans tous les domaines, pour que ces jours noirs deviennent des jours de lumière pour tout Israël. Tich’a Béav Le neuvième jour du mois d’av (tich’a béav) est, selon la tradition rabbinique, la date du jeûne du cinquième mois, l’un des quatre jeûnes publics institués par les prophètes. Il commémore une série de calamités ayant frappé le peuple judéen, dont la faute des explorateurs lors de la traversée du désert et la destruction des deux Temples. Il clôture la période des trois semaines.Le jeûne du 9 av, considéré dans la Loi juive comme le prototype du taanit (jeûne de mortification), dure, à l’instar, de Yom Kippour, vingt-cinq heures et est soumis aux mêmes restrictions sur les parfums, le port de chaussures de cuir et les rapports conjugaux. Cependant, contrairement à cette fête, il n’a pas pour but l’expiation mais le deuil et certaines coutumes vont en ce sens, parmi lesquelles le déchaussement ainsi que la lecture du Livre des Lamentations, d’élégies et de complaintes sur un ton éteint, à même le sol. Les séfarades ont également coutume de lire le Livre de Job. Le 9 av dans les sources juives La source biblique du jeûne est une prophétie de Zacharie pour les temps messianiques, où il annonce :« Le jeûne du quatrième mois, le jeûne du cinquième, le jeûne du septième et le jeûne du dixième se changeront pour la maison de Juda en jours d’allégresse et de joie.» Il est probable que Zacharie ait en tête le 10 av, jour où l’incendie du Temple de Salomon et de Jérusalem concluant le siège de la ville par Nabuchodonosor s’est achevé. * Cependant, selon les Sages, le « jeûne du cinquième mois » a lieu au neuvième jour de mois, car cinq calamités sont tombées sur le peuple juif en ce jour, justifiant un jeûne chacune à elle seule. Ce sont : 1. La faute des explorateurs dépêchés par Moïse (selon un midrash, il s’agit de la « faute-mère » : comme les Israélites ont pleuré en vain un 9 av, D. leur promet de leur donner une raison valable de pleurer désormais à chaque année) 2. La destruction du Temple de Salomon, en l’an 3338 (suivie par l’exil de Babylone) 3. La destruction du second Temple de Salomon, en l’an 3828 (suivie par le second exil) 4. La destruction de la forteresse de Betar en l’an 135, marquant la fin de la révolte de Bar Kokhba (et, selon le Talmud de Jérusalem, sa mort) 5. La destruction de Jérusalem par Hadrien, un an plus tard (pour y bâtir Ælia Capitolina, en effacer les traces du culte de YHWH et interdire son accès aux Juifs). Si le jeûne existait à l’époque de Zacharie, il semble qu’il ait été commémoré à deux dates différentes et que la date du 9 av ait été instituée après la destruction du Second Temple ; une tradition qui n’avait pas été consignée dans la Mishna résout cette apparente contradiction : le 7 av est la date à laquelle des étrangers sont entrés dans le sanctuaire et l’ont profané tandis que le 10 av est celle à laquelle le Temple a fini de brûler. C’est, selon Rabbi Yohanan, cette date qui aurait dû être choisie pour le jeûne mais les Sages lui ont préféré le 9 parce que l’affliction est plus importante au moment où elle se déclenche qu’à celui où elle se termine. Selon une autre opinion, consignée dans le scholion à la Meguilat Taanit, le jour joyeux du korban etzim, fixé à l’époque de la Mishna au 15 av, l’avait été originellement au 9 av par la génération du retour à Sion ; d’aucuns en déduisent que cette date avait été choisie pour exaucer la prophétie de Zacharie (« les jeûnes … se changeront en jours d’allégresse et de joie ») et qu’en conséquence, le jeûne du cinquième mois avait bien lieu le 9 av. Observance du 9 av dans le judaïsme rabbinique De nombreuses commémorations se tiennent par conséquent le 9 av lorsqu’on n’en connaît pas la date.tich’a béav est marqué par le deuil, et en tant que tel, le Chabbat a préséance sur lui. Si le 9 Av tombe un Chabbat, le jeune sera repoussé d’une journée; on étudiera tout de même des sujets en rapport avec le 9 Av.Le 9 Av n’est pas un jour chômé, bien que le travail soit hautement déconseillé. Il est cependant préférable de ne travailler qu’à partir de la mi-journée (après ‘Hatsot). Les restrictions Comme à Yom Kippour, on observe à tich’a béav un jeûne complet (alimentation et boissons interdites, sauf déshydratation, ou prise de médicaments obligatoirement hydrosolubles) de 25 heures, depuis le coucher du soleil jusqu’à l’apparition des étoiles le jour suivant.Il ne s’agit pas ici d’expier mais de se lamenter. En outre, l’extrême pénurie d’aliments et boissons fut le lot de ceux qui virent la destruction des Temples (cf. les Lamentations de Jérémie, pour le Premier Temple).Sont également interdits :• les baignades d’agrément.• les ablutions sont réduites au minimum : on se rince le bout des doigts et non les mains; on peut se les rincer si elles sont sales, et au lever; on peut, tant que les doigts sont humides se frotter les yeux.• on ne se rince pas la bouche jusqu’à la fin du jeûne.• on peut se mouiller les mains en lavant la nourriture, l’intention, n’étant pas de se laver les mains.• on peut baigner un bébé, et appliquer de l’huile sur sa peau.• le maquillage et le parfumage; il est interdit de respirer des épices.• le port de chaussures de cuir.• cela s’applique aux chaussures à semelle comme à lacet de cuir; on peut porter des chaussures en toile, tant qu’elles ne contiennent pas de cuir.• si l’on doit s’engager dans un chemin épineux, ou dans un environnenment « à faible densité de population juive » (où le port de pantoufles serait remarqué et tourné en dérision), on peut porter des chaussures ordinaires.• L’intimité conjugale; les couples sont soumis aux restrictions de la nidda.Au cours de la première partie de la journée, on s’assied sur des chaises basses (à 30,48 cm du sol maximum) comme pendant la période de deuil de sept jours.On évite les embrassades, les salutations cordiales, les sourires, … L’étude de la Torah « réjouit le cœur » (Psaumes 19:9); elle est donc déconseillée, à l’exception du Livre des Lamentations (meguilat Eikha), ses commentaires midrashiques, le livre de Job, les prophéties de Jérémie, les passages talmudiques liés à la destruction du Temple, etc.Les mesures de deuil sont moins sévères l’après-midi : on peut par exemple s’asseoir sur des chaises plus élevées, ou s’adonner plus librement au commerce. Erev Tich’a béav Le soir du 9 Av (dans le judaïsme, le jour commence à la tombée de la nuit, cf. récit biblique de la Genèse), l’atmosphère est humble et dépouillée, l’éclairage réduit au minimum, l’Almémor est nu, l’Arche sainte dépourvue de sa parokhet. Après l’office du soir, on s’asseoit sur des sièges bas. Le Hazzan récite plaintivement la meguilat Eikha. Il est ensuite de coutume de lire des kinnot (élégies).La lecture des kinnot est d’apparition récente : le siddour de Rav Amram Gaon, rédigé au neuvième siècle, ne le mentionne pas. En revanche, il indique déjà que le 9 Av, le fidèle récitera le livre de Job. Cha’harit Tich’a béav La prière du matin se fait dans la même atmosphère. Contrairement à l’habitude de le faire le matin, certaines communautés ne revêtent le tallit et les tefillines, que l’après-midi du fait du deuil. On lit une section du Deutéronome (4:25-40, menace en cas d’idolâtrie des Israélites). La Haftara est issue du Livre de Jérémie. On lit également des kinnot. Min’hat Tich’a béav Pour l’office de l’après-midi, ceux qui ne l’ont pas fait le matin, revêtiront tallit et tefillines et une prière spéciale, dite de consolation (Na’hem) est intercalée dans la ‘Amida, à la 14e prière, pour la reconstruction de Jérusalem. Après Tich’a béav Il est de coutume de se laver les mains, fût-ce par hygiène.Si Tich’a béav tombait un dimanche, comme la bénédiction sur le vin ne pouvait être faite lors de la Havdala, elle est faite à la fin de Tich’a béav. On ne récitera que les bénédictions sur le vin et HaMavdil, mais pas la bénédiction sur la bougie, celle-ci ayant été allumée à la fin de Chabbat. On ne récite pas non plus la bénédiction sur les épices.La viande, le vin, les baignades d’agrément et la coupe de cheveux et/ou le rasage sont évités jusqu’au lendemain midi, le Second Temple ayant brûlé jusqu’à ce moment-là. Les Sages jeûnaient d’ailleurs jusque-là, selon le Talmud.La poursuite de ces restrictions n’a pas lieu si le 10 Av tombe un Chabbat.Le premier Chabbat après Tich’a béav est appelé Chabbat Nah’amou, selon les premiers mots de la Haftara tirée de la fin du Livre d’Isaïe (40:1-27 : « Consolez, consolez mon peuple, dit votre D. »). C’est la première d’une série de sept haftarot de consolation, les shiv’a dene’hemata qui s’échelonneront jusqu’à Roch Hachana. Évolution des coutumes Dans la période de rédaction du Talmud, l’observance du 9e jour du mois d’Av revêtit un aspect de tristesse et d’ascétisme de plus en plus marqué.Maïmonide, légaliste du XIIe siècle, émet l’opinion dans son Mishné Torah, que les restrictions, telles que consommer des mets carnés ou boire du vin, ne s’appliquent qu’au dernier repas du 8 Av, précédant le jeûne, s’il est pris l’après-midi. Par contre, avant midi, il n’y a aucune restriction (Hilkhot Taanit 5:8).Moïse de Coucy (XIIIe siècle) écrit que c’est une coutume universelle que de se retenir de mets luxueux toute la journée précédant le 9 Av (Sefer Mitzvot hagadol, éd. Venise, Lois sur Tich’a béav, 249b).Yossef Karo (XVIe siècle), auteur du Choulhan Aroukh et du Bet Yossef, écrit que certains ont pour coutume de s’abstenir de viande et de vin depuis le début de la semaine à laquelle tombe le 9 Av; et que d’autres s’en abstiennent pendant les trois semaines à partir du 17 Tamouz (Choulhan Aroukh, Orah Hayim 551).Les interdictions devinrent plus nombreuses, et on interdit de se marier durant cette période, et d’autres signes de deuil encore.Finalement, le Rav Moïse de Coucy dit que certains ne mettent pas leurs phylactères (tefilines) à Tich’a béav, une coutume fort répandue par la suite (cf. supra on ne les met pas le matin, mais bien l’après-midi).De la sorte, toutes ces coutumes, initialement conçues pour marquer sa piété de manière inhabituelle, devinrent finalement la règle à suivre pour tous. Le jeûne du cinquième mois dans le karaïsme Dans le commentaire talmudique de cette mishna, on objecte que la destruction du Second Temple n’eut pas lieu le jour précis du 9 Av, mais qu’elle est thématiquement associée à ce jour de jeûne (selon ce commentaire, le feu qui consuma Jérusalem fut allumé ce jour, mais son œuvre se poursuivit jusqu’au jour suivant, et la destruction aurait donc techniquement eu lieu le 10 Av).Par ailleurs, le Talmud ne donne pas non plus de preuve que la forteresse de Betar tomba le 9 Av, mais reconnaît qu’il existe une tradition affirmant que ce fut bien le cas. |