Kedochim ; La dignité humaine, Grand principe de la torah
La paracha Kedochim que nous lirons ce chabbat, se situe au centre du livre du Lévitique et contient
l’injonction qui résume sans doute toute la thématique de ce livre : « Vous serez saints, car Je suis saint
Moi l’Eternel votre D.ieu ». La sainteté n’exige pas une exclusion du monde, bien au contraire, elle ne peut
s’acquérir que dans le rapport au monde.
C’est probablement pour nous faire comprendre cela que la paracha contient de très nombreux
commandements qui touchent à tous les domaines de l’existence, depuis l’éthique des relations entre
employeurs et employés jusqu’à la morale sexuelle.
Et au cœur même du texte de notre section hebdomadaire, (toujours lue pendant la période du Omèr
correspondant au deuil des vingt-quatre mille élèves de Rabbi Aquiva) apparait un des versets les plus
ne ni pas vengeras te ne Tu’ “לֹא תִ קֹם וְ לֹא תִ טֹר אֶת בְ נֵי עַמֶָך וְ אָ הַבְ תָ לְרֵ עֲָך כָמוָֹך אֲנִי ה” :Torah la toute de fameux
garderas rancune vis-à-vis des enfants de ton peuple, et tu aimeras ton prochain comme toi-même, Je
suis l’Eternel”. (Lévitique 19,18)
Rav Hayim Vital (l’élève du Ari Zal (1542-1620)) d’expliquer notre verset en disant que les enfants d’Israël
sont comparables aux membres et organes d’un même corps. Quand l’un d’eux vient à fauter, tous les autres
sont responsables de ce qui a été commis. Telle est la raison pour laquelle, lorsque nous récitons le widouiy
(« confession »), nous employons la forme plurielle : hatanou (« nous avons fauté »), et non hatathi (« j’ai
fauté »). Même celui qui prie seul chez lui s’exprime ainsi, au pluriel, car le manquement de l’un est
considéré comme ayant été perpétré par tous – leurs âmes étant liées et garantes les unes des autres.
Rachi, l’exégète de la Torah commente quant à lui que l’amour du prochain est un principe fondamental
dans la torah comme l’enseigne Rabbi Aquiva.
Une question se pose donc à nous, cette injonction serait-elle plus importante que les autres mitsvot
(commandements) pour mériter l’appellation de “principe fondamental” ?
Pour répondre à cette question apportons un midrach expliquant la prescription de l’amour du prochain sous
trois angles différents mais parfaitement complémentaires.
Ben Azaï dit : Le verset « Voici le livre des générations d’Adam » exprime le principe essentiel de la
Torah. Rabbi Akiba dit : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », tel est le principe essentiel de la
Torah. Ainsi, tu ne diras pas : J’ai été méprisé, que mon prochain le soit avec moi, j’ai été maudit, que
mon prochain le soit avec moi. Rabbi Tanhouma dit : Et si tu te comportes de la sorte, sache qui tu
méprises, car il est dit «A la ressemblance de D.ieu Il fit l’homme » (Genèse Rabba 24,7)
Les trois sages qui débattent sont d’emblée d’accord entre eux sur un point : l’amour du prochain est « klal
gadol », le principe essentiel de la Torah. Ils diffèrent seulement sur le choix du verset qui établit le mieux
ce principe.
En effet, pour Ben Azaï l’amour du prochain ne se fonde pas sur la psychologie mais sur un principe
universel qui découle du fait que tous les hommes sont issus d’un ancêtre commun. Le verset « Voici le
livre des générations d’Adam » est une introduction à la première généalogie de l’Humanité. Le fondement
de l’amour du prochain pour lui est l’unité de l’Humanité au-delà de ce qui dans les générations qui ont
succédé à Adam, a conduit à des différences ethniques, sociales etc. Les hommes, qui descendent tous du
même homme, sont égaux. Aucun ne peut dire à l’autre, selon l’expression du Talmud: ‘mon sang est plus
rouge que le tien’.
Pour Rabbi Akiva, c’est le verset de notre paracha, qui a le mérite d’être le plus explicite. Peut-on
véritablement aimer son prochain comme soi-même ? Que signifie aimer l’autre comme soi-même ?
Rabi Akiva reste très près de la première moitié du verset : « Tu ne te vengeras pas, et tu ne garderas pas
rancune etc. ».
La vengeance, la rancune ont pour cause la tendance de l’homme d’être sévère vis-à-vis d’autrui et indulgent
vis-à-vis de soi. Il faut apprendre à juger autrui avec les mêmes critères qu’on se juge soi-même. Aussi, ce
n’est pas parce que j’ai été méprisé que je dois à mon tour mépriser celui qui m’a méprisé, comme le souligne
le midrash. Autrement dit, nous devons avoir une attitude empathique pour autrui qui doit demeurer aussi
stable et permanente que la bienveillance naturelle que nous avons pour nous-mêmes. Pour Rabbi Akiva,
l’amour du prochain est donc une règle éthique du quotidien.
Le principe évoqué par Ben Azaï est plus vaste et plus élevé que la règle de vie au quotidien défendue par
Rabbi Akiva, mais il faut bien reconnaitre que ce principe reste abstrait.
Rabbi Tanhouma vient en quelque sorte à la rescousse de Ben Azaï. Pour lui, ce qui fonde l’amour du
prochain n’est pas seulement l’origine commune de tous les hommes en Adam mais le fait que l’homme ait
été créé « à l’image de D.ieu ».
Ce qui est ici mis en évidence, c’est l’éminente dignité de tout homme, une dignité qui est le reflet de la
hauteur du Créateur Lui-même. Cette reconnaissance de la dignité absolue de chacun va au-delà de l’idée
d’égalité et de fraternité. Rabbi Tanhouma s’appuie sur l’expression « comme toi-même ».
L’image de Dieu qui est l’essence de l’homme m’oblige à reconnaitre que chaque homme est comme moi,
au-delà des différences évidentes qui nous séparent.
L’homme dans ses principes moraux a parfois tendance à donner de l’importance à certain domaine et à
négliger le reste. Nos sages nous enseignent ainsi que ces principes moraux qui dirigent notre existence
n’ont de sens que s’ils sont circonscrits dans la torah.
Sans cette référence absolue, nous dit Rabbi Tanhouma, aussi bien l’approche psychologique de Rabbi Akiva
que l’approche universaliste de Ben Azaï ne peuvent tenir. Nous comprenons à présent l’injonction de notre
verset à propos de l’amour du prochain : Rabbi Tanhouma la dimension divine, Ben Azaï la dimension
humaine universelle et Rabbi Akiva la dimension pratique.
Chabbat chalom à toutes et tous.
Rav Mordehaï BONDIT