Jean-Paul Klein nous quitte. Une autre page se détache, du beau livre d’histoire de la communauté juive de Montpellier.
Mais pas n’importe quelle page, car Jean-Paul Klein n’est pas n’importe qui. Il fascine ceux qui ne le connaissent pas. Mais il fascine aussi ceux qui le connaissent …
Je peux dire, très modestement, que j’ai été son ami dans une période de sa vie. Avec d’autres bien sûr. Puis le temps et les kilomètres ont fait leur sale boulot. Nous étions suffisamment proches, pour « oser » lui demander l’origine de son handicap, qui le clouait dans un fauteuil et dans un corps pétrifié depuis sa naissance. En 1996, j’ai eu la chance de réaliser son portrait pour le magazine juif AM et nous avons échangé sur de nombreux sujets intimes.
Je ne me souviens plus comment j’ai réalisé son interview puisque Jean-Paul ne pouvait pas parler … mais je me souviens que nous échangions de nombreux messages par mail car il manipulait sa « licorne » comme personne (baguette fixée sur son front qui lui permettait de tapoter sur son clavier et de commander son ordinateur).
Alors avant de vous raconter l’histoire réactualisée de JPK, il est de coutume de demander pardon à ceux qui nous quittent. (il aurait apprécié cet acronyme, JPK, et il aurait sans doute rigolé aux éclats !!!!),
Il est donc temps te demander « pardon » pour mon ignorance (mais je n’étais pas le seul), pardon pour avoir mis tant de temps à comprendre que lorsque tu entrais à la synagogue le jour de kippour, que tu traversais cette longue allée sous notre regard, c’était un juif exceptionnel qui se présentait à nous, exceptionnel pour sa foi et son courage, pour son amour et son humour de l’autre, avec comme seule envie celle d’être accepté dans notre communauté comme n’importe lequel d’entre nous. Mais nous ignorions tout ce que tu avais à nous dire, puisque les mots ne sortaient pas de ta bouche. Il a fallu du temps, beaucoup de temps… Méhila.
JPK est né en 1949, mais l’accouchement se passe mal et suite à une erreur purement médicale, il restera lourdement handicapé pour le restant de ses jours. Sa mère l’accompagne tout au long de sa jeunesse, dont il garde de beaux souvenirs et beaucoup de nostalgie. De belles fêtes juives en famille, avec son grand-père qui déborde d’affection. Et pour cause, ce papi est César Uziel, précurseur de la communauté juive, né en 1892 à Istanbul en Turquie et bonnetier de son état à Montpellier.
Remontons quelques années en arrière, durant l’été 1940 au cours duquel de nombreux réfugiés arrivent de Paris, d’Alsace-Lorraine, de Belgique, de Hollande, du Luxembourg et de Pologne et sont accueillis et pris en charge par César Uziel, président de la communauté juive. Il réussit à leur trouver des logements provisoires à Montpellier ou dans les localités voisines. La plupart de ces réfugiés sont ensuite orientés vers la Lozère, à Langogne avec l’aide du Comité d’Assistance aux Réfugiés. Cependant, dès le 26 janvier 1943, un ordre d’expulsion émanant de Vichy oblige tous les israélites français et étrangers à quitter cette localité…
César Uziel est rejoint un temps à Montpellier par son frère Raphaël Uziel installé à Nîmes avec sa famille, tandis que son fils, Albert Uziel entre en résistance (l’oncle de Jean-Paul). César Uziel sera Président de la communauté juive de Montpellier de 1934 à 1957, mais aussi le fondateur de la Synagogue de la rue des Augustins.
Jean-Paul suit une scolarité normale et se distingue dans plusieurs matières. Cinq ans de Droit plus tard, il est diplômé d’Etudes Juridiques et Economiques appliquées à l’Habitat et à la Construction pur se lancer plus tard dans une carrière d’Administrateur de Biens. Il décide aussi d’apprivoiser l’hébreu en se lançant dans des cours par correspondance, car du fond de son fauteuil roulant, JPK essaie de réaliser ses vœux et ses ambitions, doucement mais sûrement …
Jean-Paul a été marié, puis divorcé et connaitra aussi les joies de la paternité avec ses trois enfants Laurent, Jérôme et Mélanie. Il connaitra d’autres histoires d’amour, pour lesquelles nous n’avons jamais cessé de le taquiner avec les copains, épatés que nous étions de le voir mener ainsi sa vie amoureuse.
Quand on le connaît un peu, JPK force l’admiration. Il me rappelle alors sa devise « la force d’être juif ». C’est surement, quelque chose de génétique qui lui vient de sa famille, cette volonté de se battre au quotidien, de survivre même et toute cette énergie et cette volonté, il la puise laborieusement mais courageusement dans la vie juive et le judaïsme.
Secrètement, au fond de lui, JPK a un rêve. Voyager en Israël, se rendre à Jérusalem et prier au Kotel. En théorie irréalisable en raison de son état de santé, de son handicap, de son niveau de dépendance et d’une logistique complexe. A cette époque, le Centre Communautaire de Montpellier organise chaque année un voyage en Israël à l’occasion de Yom Yeroushalyim. Je vous parle d’une époque où les élus locaux et régionaux affirmaient à qui voulaient l’entendre que Jérusalem est pour l’éternité, la Capitale Une et Indivisible de l’ État d’Israël ! Dans cette euphorie générale, nous conduisions chaque année 200 juifs et non juifs jusqu’à Jérusalem pour fêter la réunification de la capitale. Armand Tcherniack en tête, Michel Levy et moi assurions les arrières. Lorsque JPK nous demande dans un instant de folie s’il y a une possibilité de partir avec nous, nous avons immédiatement accepté. Nous étions suffisamment dingos et nombreux pour l’accompagner et lui permettre de réaliser son vœux le plus cher. Nous étions les « Intouchables » bien avant sa sortie ! Je passe sur les innombrables fous-rires en portant JPK de son fauteuil jusqu’à sa place dans le bus et toutes les situations cocasses de cette folle aventure. Combien de ratés, combien d’étreintes, combien de rires complices les yeux dans les yeux, car c’était aussi sa façon de communiquer avec nous. Ce regard ….
Et nous voici à Jérusalem rue Yaffo, défilant avec JPK et tout le groupe aux cotés de dizaines de milliers de jeunes célébrant la Capitale d’Israël en dansant avec des drapeaux bleu et blanc. Quand le rêve devient réalité ! Théodor Herzl lui-même ne l’aurait pas imaginé ….
Nous sommes arrivés au Kotel. Je me souviens de Jean-Paul dans son fauteuil que l’un d’entre nous pousse religieusement jusqu’aux pierres sacrées, pour apprécier chaque seconde de cet instant mémorable. JPK se recueille, prie en souriant. Séquence émotion. Nous quittons lentement le Kotel en se souriant les uns et les autres de cet instant de communion, d’amitié, de fraternité juive. Jean-Paul nous fait passer un message : « maintenant que j’ai connu ça, je peux mourir ».
Je suis heureux que tu ais vécu toutes ces années supplémentaires pour apprécier ces souvenirs et pour vivre d’autres belles aventures et expériences dans ta communauté, comme la conférence que tu as donnée récemment au centre Olami Montpellier.
Tu es devenu par la suite un fidèle des fidèles jusqu’à faire installer des rampes pour accéder plus facilement à la synagogue. Jean-Paul Klein, aucun doute c’était TA communauté. Qu’elle te rende l’hommage que tu mérites en t’accompagnant vers ta dernière demeure.
Michel Attali