Parmi toutes les interrogations que soulève l’extermination des juifs, une question me tracasse depuis longtemps. C’est la question du discernement.
Notre idéal républicain issu de la philosophie des Lumières fixe l’horizon de la sortie de la barbarie par l’éducation, l’instruction et la culture.
Dès lors comment le peuple allemand, le plus cultivé et instruit de la planète en 1939 a-t-il pu commettre un tel crime ? Comment a-t-il pu perdre le « sens moral » minimum ?
3 faits illustrent mon interrogation :
– 80% des médecins allemands avaient la carte du parti nazi et étaient militants convaincus
– Les tests de QI effectués par le psychologue et capitaine Gustave Gilbert aux dignitaires nazis lors du procès de Nuremberg démontrent pour la plupart un haut niveau d’intelligence.
– Michel Fourniret le tueur en série, l’Ogre des Ardennes, en prison à perpétuité, parle 5 langues et écoute France Culture du matin au soir
Il faut s’y résoudre, le haut niveau d’éducation et l’intelligence ne donnent pas le « sens moral ». Ils ne sont pas un garant de l’humanité.
Alors est-il pertinent cet Idéal des lumières et ses injonctions à l’éducation, l’instruction, la culture comme lutte contre la barbarie la dictature, la guerre, le Mal ?
Mais Hanna Arendt nous prévient : le mal est banal
Le Mal est inhérent à la Condition humaine. Une minorité désigne des gens qui sont différents comme une menace et les fait exterminer. C’est parce qu’un certain nombre d’allemands étaient prêts à commettre ces atrocités que ce massacre a eu lieu. Le tribunal militaire de Nuremberg inculpera au final 36 000 nazis. C’est peu.
Qu’est-ce que le « Sens moral » ?
On situe généralement la plus ancienne naissance de l’Ethique justement dans la Torah, les fameux 10 commandements et notamment le « tu ne tueras pas ».
Pour nous juifs, le meurtre de masse est inconcevable.
Comment les nazis ont-ils planifié et industrialisé à la conférence de Wannsee en janvier 1942 le projet d’extermination des 11 millions de juifs d’Europe? La conférence de Wannsee c’était 15 personnes pendant 2 heures pour la « solution finale » (die Endlösung der Judenfrage). 15 personnes pendant 2 heures…
Certes le judaïsme promeut aussi l’instruction, l’Etude, le progrès. Dans le Talmud, Hillel nous dit « L’homme inculte ne craint pas le pêché, l’ignorant ne peut être tout à fait pieux ». C’est une injonction à la connaissance. Mais Hillel ajoute « Là où il n’y a pas d’homme, efforce-toi d’en être un »
C’est le sens que Georges Orwell donne à la Common Decency la décence ordinaire, le sens inné de l’entraide et de l’éthique propre aux classes populaires et Albert Camus disait que son père ne lui avait transmis qu’un message essentiel : « Un homme ça s’empêche »
Les nazis ne se sont pas empêchés. La Shoah est le désastre le plus inimaginable de la pensée humaine.
Les nazis appelaient le chemin vers la chambre à gaz de Treblinka Himmel Strasse la rue du ciel.
Je ne sais pas ce que c’est d’être juif, à part être solidaire de tous les autres juifs. Nous sommes condamnés à une solidarité totale et perpétuelle. Et Nous demandons Pardon d’avoir survécu à Auschwitz… Ce qui unit les juifs c’est d’avoir eu un malheur commun et que cela ne se reproduise jamais plus pour l’Humanité.
Mais nous ne sommes pas naïfs, nous savons qu’il n’y a pas de vaccin contre l’antisémitisme, et il y a encore un pays dans le monde qui déclare vouloir la destruction d’Israël.
Face à la catastrophe gardons en tête la résilience juive et comme le dit Rabbi Na’hman de Breslau
Si la vie vous donne cent raisons de pleurer,
donnez-lui mille raisons de rire
Et ces deux vers d’Apollinaire, que le GRF Haïm Korsia aime citer : Jamais les crépuscules ne vaincront les aurores
Étonnons-nous des soirs mais vivons les matins
Théoriquement mon discours s’arrête là. Mais après la commémoration de la tragédie de la Shoah, la communauté juive va fêter ce soir Tou Bishevat. Cette succession dans le calendrier illustre la résilience juive. Passer des ténèbres à la lumière. Tou Bishvat est une fête écologique, le nouvel an des arbres, l’annonce du retour de la nature et du printemps après les rigueurs de l’hiver. L’arbre est le symbole de l’Homme, qui doit renaitre pour pérenniser la vie.