Nelly Sachs

C’est l’une des poétesses essentielles du 20 ème siècle, prix Nobel de littérature en 1966, seul prix Nobel attribué à un poète juif encore à ce jour.

Nelly Sachs en 1966

Née au sein d’une famille juive allemande aisée (Sachs est la retranscription de l’acronyme זק »ש pour zera kedoshim, engeance de saints c’est-à-dire martyrs), elle commence à écrire des poèmes à 17 ans. Elle vit douloureusement les persécutions nazies, échappe au régime en mai 1940, et trouve refuge avec sa mère à Stockholm qu’elle ne quitte plus jusqu’à sa mort. Dans ce chemin de l’exil, elle retrouve l’histoire de son peuple.

D’abord enfermée dans le silence, elle commence à reconquérir quelques paroles par l’étude de la Bible. La Bible hébraïque traduite par Martin Buber en allemand, la fascine totalement. Alors elle s’imprègne des livres saints, Torah, Zohar, écrits des Hassidim. La langue de feu des prophètes et des patriarches la saisit. Son écriture change totalement et elle donne une voix aux malheurs des juifs. Par solidarité, par redécouverte d’une culture enfouie, banalisée dans l’assimilation, elle devient celle qui crie vengeance et souvenir face à la haine et l’anéantissement. Exode et métamorphose, comme le dit le titre de ses poèmes parus chez Verdier. Métamorphosée, elle peut à nouveau écrire, la nuit exclusivement, et témoigner dès 1943.

Autant que l’histoire tragique d’un peuple, passe en filigrane l’ombre d’un homme, son fiancé, mort en camp de concentration, et dont jamais nous ne connaîtrons le nom.

Plusieurs membres de sa famille sont cependant victimes des camps nazis. Les terreurs qu’elle vécut alors et le drame des camps de concentration la marquent profondément et altèrent fortement sa santé mentale. Son œuvre naîtra de la Shoah et son premier recueil, paru en 1946 et intitulé Dans les demeures de la mort traite de la nuit, du souvenir et de l’exil.

Le jury du Prix Nobel l’a récompensée  en 1966 « pour sa remarquable œuvre lyrique et dramatique qui interprète le destin d’Israël avec sensibilité et force ». Les clés essentielles de son œuvre sont effectivement à trouver essentiellement au travers de la tradition juive.

Les mystères de sa poésie sont déduits des interprétations des commentaires hassidiques. Sable, poussière, lumière, langage, pouvoir des mots et des lettres, résurrection, constellations, irriguent ses vers. Elle écrit des psaumes de la nuit qui ont une illumination prophétique.

Elle meurt quatre ans plus tard, quelques semaines après Paul Celan dont elle fut l’amie et avec qui elle entretint une riche correspondance de 1954 à 1969 – dialogue à vif où s’échangent à la fois les tourments de la maladie, les questionnements poétiques, les drames personnels et historiques. Tous deux étaient les deux grands poètes juifs de langue allemande, ceux qui témoignèrent dans la langue des bourreaux. Comme lui, elle aura connu une existence d’après le déluge et comme lui, elle ne pourra jamais combler la béance du désastre. Si on peut survivre à l’horreur, on ne peut survivre à sa mémoire.

Voici un de ses poèmes, extrait du recueil Dans les demeures de la mort publié en 1946

Mais qui donc

Mais qui donc vida le sable de vos chaussures

Quand on vous força à vous lever pour mourir ?

Ce sable, qu’Israël était allé chercher,

Son sable d’errance ?

Sable brûlant du Sinaï,

Mélangé aux gorges des rossignols,

Mélangé aux ailes des papillons,

Mélangé à la poussière de nostalgie des serpents,

Mélangé à tout se détacha de la sagesse de Salomon,

Mélangé à l’amertume du secret de l’absinthe –

Ô vous doigts,

Vous qui avez vidé le sable des chaussures des morts,

Dès demain votre poussière sera dans les chaussures des hommes à venir !
(Dans les demeures de la mort) 1946