PESSAKH 5781 UNE HAGADA ROUMAINE. UN COMMENTAIRE DU GRAND RABBIN ALEXANDRE SAFRAN (1910-2006)

par

Carol IANCU

Professeur émérite à l’Université Paul Valéry de Montpellier

Membre d’honneur de l’Académie Roumaine

La Pâque juive (Pessah, en hébreu) commémore la délivrance miraculeuse du peuple d’Israël de l’esclavage égyptien, il y a plus de 3000 années. Pendant huit jours, en commençant avec le 15e jour du mois Nissan de l’année hébraïque – 5781 cette année -, les Juifs consomment des matzot –  pains azymes sans levain (appelés en provençal des coudolles) -, en souvenir de la sortie d’Egypte, lorsque leurs ancêtres, dans leur fuite, n’ont pas eu le temps de faire lever la pâte.

La fête de Pessah va débuter le Samedi soir 8 avril 2021, avec la cérémonie pascale dénommée Seder (en hébreu, «ordre»), car en dehors du repas proprement dit, il comprend un rituel qui se déroule dans un ordre précis. Le repas est précédé par la lecture de la Hagada, le livre qui contient le récit de la délivrance, des bénédictions et des chants de reconnaissance, sa lecture étant interrompue par des actes symboliques: on consomme des herbes amères, trempées dans l’eau salée, pour se souvenir de la vie amère qu’avaient les Hébreux dans le pays du Nil.  De même du harosset, un mélange de fruits et d’épices qui, par sa teinte, rappelle le mortier que pétrissaient les esclaves hébreux lorsqu’ils édifièrent des villes et des pyramides, et qui, par son goût (doux), souligne que la vie amère a été entièrement changée par la joie de la délivrance.  En plus des quatre coupes de vin qui rythment le seder, une cinquième coupe de vin que personne ne touche se trouve aussi sur la table,  destinée au prophète Elie qui, d’après la tradition, est l’annonciateur du Messie.

Pessah symbolise la naissance du peuple juif à une vie nouvelle, délivrée de l’esclavage, sous la direction de Moïse, le prophète législateur qui devait recevoir la Torah sur le mont Sinaï.

A propos du passage (en hébreu pessah signifie «passage») de l’esclavage à la liberté, le plus important exégète de la Bible et du Talmud, le célèbre rabbin Rachi de Troyes (Rabbi Chlomo Itshaki, 1040-1105) écrit dans un de ses commentaires:

«La sortie de la maison de l’esclavage nous a également affranchis de la servitude morale et spirituelle. A chaque fête de Pessah, et quelles que soient les conditions extérieures de notre existence, nous rendons grâce à l’Eternel du bienfait de la liberté de l’âme et de l’esprit, que nous avons jalousement conservé depuis la libération d’Egypte. C’est à elle que la phrase de notre liturgie fait allusion: “Il fit sortir son peuple Israël du milieu des Egyptiens pour une liberté éternelle” (Exode, ch. XII) ».

Pessah  représente le moment fondateur du peuple d’Israël, auquel fut octroyée la liberté et qui trouve l’accomplissement dans la Torah reçue sur le mont Sinaï et résumée dans le Décalogue.

Le message de la révélation sinaïtique est universaliste.

La Hagada  date du Moyen Age, et parmi les versions les plus anciennes et les plus réputées, il convient de mentionner celle du l’éminent rabbin et philosophe Rambam (Rabbi Moshé ben Maïmon), connu en Occident sous le nom de Moïse Maïmonide (1135-1204).  

La Hagada a été traduite dans une multitude de langues, l’une des plus récentes traductions en roumain, complétée de commentaires, lois cultuelles et traditions, a été réalisée par l’érudit Baruch Tercatin, en collaboration avec le rabbin israélien Menahem Hacohen qui, entre 1997 et 2011, a assumé la fonction de Grand Rabbin des communautés juives de Roumanie. Publiée en 2018 par les éditions Hasefer de Bucarest, dans d’excellentes conditions graphiques, elle a bénéficié de plusieurs textes introductifs, signés par Aurel Vainer, Razvan Theodorescu, Andrei Marga et Carol Iancu.

Page de couverture de la Hagada de Pessakh (Bucarest, 2018)

La Hagada qui a connu plus de 3000 éditions depuis le XVe siècle, constitue aussi une source précieuse concernant l’évolution de l’art religieux juif, grâce aux motifs ornementaux en couleurs, présents dans de nombreux manuscrits enluminés, avant la parution de l’imprimerie. La Hagada de Sarajevo – on lui doit ce nom en raison du fait qu’elle est devenue  la propriété du Musée national de la capitale de la Bosnie -, composée  vers le milieu du XIVe siècle au nord de l’Espagne, est considérée, grâce à ses exceptionnelles miniatures, le sommet de l’art liturgique juif médieval

A la fin de la lecture de la Hagada, on chante le Had Gadya («le chevreau»), hymne écrit en langue araméenne mêlée de mots hébreux. Il fut très tôt traduit en diverses langues. Dans ce conte en vers, le chevreau est le symbole d’Israël dont les persécuteurs se détruisent les uns après les autres jusqu’au jour où le Saint des Saints ouvrira l’ère du Messie en tuant l’ange de la mort.

Le début du Had Gadya en hébreu et en roumain, reproduit dans
la Hagada de Pesah (Bucarest, 2018)

La Pâque juive dont les fondements bibliques se trouvent dans l’Exode, chapitres XII et XIII, a pris dans l’histoire la signification de la libération de tous les esclavages, le dernier en date et le plus terrifiant fut le régime nazi, auteur (avec ses nombreux collaborateurs) de la Shoah, du génocide de plus de six millions de Juifs (deux tiers de la population juive européenne et un tiers de la population juive mondiale).

Il m’est agréable d’ajouter quelques réflexions du rigoureux savant, théologien et philosophe Alexandre Safran (1910-2006), ancien Grand Rabbin de Roumanie (1940-1947) et Grand Rabbin de Genève (1948-1998). Parmi ses nombreux écrits consacrés à cette fête, j’ai choisi un article  paru à Bucarest, au mois d’avril de la terrible année 1940 dans la revue Palestina («La fête de la liberté»). Dans cet article, Alexandre Safran souligne que l’attention accordée à la liberté marque l’histoire juive millénaire. Les trois fêtes de pèlerinage reflètent chacune un aspect spécifique de ce concept: Pessah, commémore l’affranchissement de l’esclavage égyptien et illustre la liberté physique, Chavouot («Semaines», cinquante jours après Pessah), par la promulgation sinaïtique de la Torah, offre la liberté religieuse, et Soukot («Cabanes», fête d’automne) avec les produits de la terre obtenus grâce au travail, exprime la liberté matérielle. De ces trois fêtes qui pourtant chacune reflète un attribut de la liberté, c’est Pessah qui a obtenu le qualificatif par excellence de «notre liberté». En effet, cette fête du printemps, du mois de Nissan, représente la liberté de tout un peuple. L’évocation de la sortie d’Egypte ne se limite pas à la commémoration de cette date chaque année, elle marque tout le vocabulaire de la vie d’Israël et exerce sur lui une influence déterminante. L’image de l’Exode d’il y a quelques milliers d’années, est toujours présente, car «chaque génération doit se considérer comme si c’était elle qui est sortie d’Egypte” (Pessahim I, 13 b). Par l’idée de liberté toujours présente dans son âme, le Juif se solidarise avec son passé, par elle, elle légitime sa foi dans l’avenir et sa rédemption messianique («Comme dans les jours de ta sortie du pays d’Egypte, je te prodiguerai des miracles» (Michée, VII, 15). La base de la liberté doit être le respect de l’ordre dans lequel elle se trouve et le respect de la même liberté est valable pour son prochain. L’auteur constate que pour la Kabbale, Pessah représente pour l’homme une victoire contre «l’esclavage intérieur», une libération de l’asservissement de ses mauvais instincts.

Malgré le coronavirus et les interdictions imposés, célébrons, comme chaque année, Pessah, fête de la liberté, et adressons au Tout Puissant les  prières de «pikuah nefesh» («veiller sur la vie»). HAG PESSAKH SAMEAH !

!  שמח  פסח  חג