Pierre Assouline

On a appris à la mi-Avril que Pierre Assouline, ce journaliste écrivain, natif de Casablanca,  que nous avions eu l’immense plaisir d’accueillir lors du Salon du Livre des mondes juifs,  a enfin obtenu son passeport espagnol, épilogue de cinq années de lutte acharnée, qu’il avait narrée dans son livre « Retour à Sefarad ».  Nous nous en réjouissons pour lui.

Tout commence pour l’auteur par un discours du roi d’Espagne, Felipe VI dans lequel il dit « Comme vous nous avez manqué ». Cinq siècles après l’Inquisition qui obligea  des milliers de familles juives à s’exiler, le monarque espagnol propose à leurs descendants d’obtenir réparation, en recevant la nationalité espagnole. Et voici notre juré Goncourt, cet amoureux de la langue française, originaire d’une de ces familles chassées, qui se met en tête de devenir espagnol, de renouer avec le passé si lointain de sa famille. Une idée étonnante selon ses proches, tous aussi français que possible. Ceci tourne à la mission, puis à la véritable quête. Tout est en effet plus difficile qu’il n’y paraît : dans des pages souvent très drôles, pleines d’érudition, l’auteur nous raconte   la difficulté à accumuler les preuves, à exhiber sa flamme hispanique, ses connaissances du pays, la subtilité de sa langue face à une administration souvent obtuse. Un parcours du combattant donc mais aussi et surtout un fabuleux prétexte pour raconter Séfarad, cette nostalgie du paradis perdu où les Juifs vivaient « heureux » dans l’Espagne catholique (Dans l’Ancien Testament, Séfarad est une contrée lointaine qui servira de refuge aux Juifs. Les commentateurs hébraïques ont ensuite assimilé ce lieu à l’actuelle Espagne, alors qu’il se situait probablement du côté de l’Irak). Rencontres, lectures, visites de villages reculés comme des plus grandes villes, Pierre Assouline mène l’enquête sur l’Espagne d’hier et d‘aujourd’hui, confie son amour des écrivains et des poètes espagnols et sa détestation … du jambon ! En filigrane, ce sont les questions de l’héritage, de la transmission des valeurs, de l’identité qui sont ici revisitées avec brio. Appartient-on à un pays par sa langue, par le fait que ses ancêtres y reposent, ou par un roman familial souvent fantasmé ?

Dans des lignes émouvantes et dignes, l’auteur de « Sigmaringen » et de « Lutetia » livre aussi beaucoup de lui même, dont la mort de son frère sur une route espagnole. Celui qui, écrit-il, « a longtemps été plein de larmes, est aujourd’hui plein de fantômes ». « Ils sont partis depuis des siècles mais leur présence métaphysique ne les a jamais désertés. »Tous ces fantômes font la ronde dans ce gros roman-quête picaresque sous l’éclairage du Quichotte, impossible à résumer ou même à définir. Un véritable livre-monde.

Pierre Assouline redevient donc Espagnol à part entière. Mais il veut encore plus. Le séfarade appelle le roi d’Espagne Philippe VI à abroger définitivement l’édit de l’Alhambra de 1492, appliqué jusqu’au milieu du XIXᵉ siècle, cette injustice historique qui avait sommé les Juifs de quitter dans les quatre mois le territoire espagnol. « Seul un roi peut défaire ce qu’a fait un autre roi », a-t-il écrit dans sa lettre. « Ce geste aurait une portée simplement symbolique […] mais cela fait des siècles que nous l’attendons », ajoute l’écrivain.

Janine Ebguy

Merci à Janine de prendre d’avoir exceptionnellement pris le relais de Charles pour le coin culture de cette semaine.